Journal de Diatomée
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Maryline trompe la mort (autre version)

Publié le 25/08/2017 dans Art.

Cette nouvelle reprend certains aspects de la première nouvelle du nom, mais l’histoire est complétement différente. Il ne s’agit pas d’une suite. Aussi, l’une n’est pas indispensable à la compréhension de l’autre.

Maryline trompe la mort

Maryline détestait madame Bonpoint en tous points. Sa nonchalance, son incompétence manifeste pour l’enseignement, son impatience et son dédain envers les enfants, ainsi que tout le reste, lui étaient parfaitement inacceptables. Avant son arrivée à l’école, les petits élèves se sentaient très bien; Maryline aussi. Elle leur était de la meilleure compagnie qu’il puisse être, car elle prenait très à cœur de bien faire son métier — et loisir — d’assistante de classe. Mais depuis l’arrivée de, je la cite, « cette pimbêche de maîtresse », elle n’avait plus grand goût pour la vie. En elle grandissait la détresse.

« Mais docteur ! Vous vous rendez compte ? Je ne peux pas laisser cette dégénérée avec mes bébés ! Je ne vous demande pas un arrêt de travail. Il me faut des cachets. Pour oublier ou supporter; ça, c’est comme bon vous semble. Mais je ne dois surtout pas abandonner les petiots aux bras de cette monstruosité ! »

Le docteur Vergongheon ne pouvait absolument pas se résoudre à satisfaire l’envie de Maryline. Il lui avait déjà prescrit suffisamment de médicaments et, à la vue de son agitation et de ses tremblements, il la soupçonnait de ne pas respecter les doses, ce qui expliquerait, en tout ou partie, sa névrose.

« Bon ! Puisque c’est comme ça ! Ah, c’est comme ça ! Bien ! »

Maryline claqua la porte du cabinet, puis sortit, sans ordonnance. Des larmes coulaient sur ses joues écarlates. Elle bifurqua dans une ruelle pavée en titubant pour s’asseoir sur un bout de marche où s’affalait un gros chat. Ce bloc de ciment permettait l’accès à une maison délabrée et probablement à l’abandon. Tandis qu’elle sanglotait, elle tentait une réflexion malgré la brume présente dans son esprit. Son teint devint blafard en un instant. Elle manqua de s’évanouir quelques fois. Le docteur avait justement diagnostiqué Maryline. Celle-ci s’était administrée trop d’anxiolytiques et en ayant su à quel point, il ne l’aurait pas laissée partir. Elle méritait de toute évidence un secours d’urgence.


Maryline attrapa le félin pour le poser sur ses jambes et lui faire un câlin, mais celui-ci, auparavant paisible, bondit rapidement pour passer entre l’ouvrant et le dormant de la porte à demi dégondée, juste derrière elle. Elle se retourna péniblement, essuya ses yeux et regarda. Accompagnée du brouillard grandissant, une révélation lui vint enfin avant de s’éteindre. Elle se leva et entra dans la maison à son tour. Le brouillard fit alors place à un air lourdement chargé en poussières. Les lampadaires venaient de s’éveiller pour tisser des rais de lumière à travers les planches ajourées, révélant ainsi un somptueux balais de particules étoilées. Maryline contempla la chose, fascinée, éclairée. Elle bougea alors sa main dans ce qu’elle pensait être l’incarnation de la splendeur et trouva singulier de ne pas être en mesure de l’altérer. Le chat, lui, tentait d’entraver l’ombre du bras de Maryline dansant sur les tomettes. Revint à la mémoire de Maryline les instants formidables de sa vie. Elle se souvint qu’avant de sombrer dans la lie, elle était épanouie. Elle pensa alors que plus jamais elle ne pourrait atteindre cette joie et trouva cela effroyable; au point de penser qu’elle serait pour toujours inutile, dénuée de tout sens. Pourtant, en secret puisqu’elle ne le voyait pas, le chat s’amusait grâce à elle et à ses moulinets. Lorsque sa main rencontra à nouveau sa hanche, le miauleur lui attrapa la jambe et, inéluctablement, miaula. Maryline sursauta.

« Tiens, tu es là toi ! »

Le chat la fixait droit dans les yeux.

« Miaouuuu ! »

« Et toi, à quoi penses-tu petit chat ? »

Le chat ne semblait pas comprendre. Le chat qui sait tout n’a pas besoin de penser.


Madame Bonpoint réprimandait Myrtha. Selon elle, si cette enfant de 6 ans ne savait pas écrire son prénom correctement, elle finirait sous les ponts, tout comme le petit Théodore qui ne mouftait plus depuis un moment, tourné face à un coin de la salle de classe. Avec madame Bonpoint, les salles disposaient rarement d’assez de coins, surtout lorsque Maryline s’absentait quelque peu pour aller chez le médecin ou faire du ménage dans l’école. Le ménage, elle en avait « rien à secouer », d’où sa décision de rendre visite au docteur à cet horaire là.

Lorsque Maryline retourna sur son lieu de travail, elle entendit les cris stridents de la maîtresse jusque dans le couloir.

« Je demande le silence ! Allez, vous avez gagné ! Pas de récréation ! Sileeence ! »

Maryline hâta le pas. Elle ne frappa pas à la porte, elle la défonça. Une fois là, elle fit un petit sourire aux enfants qui en disait long sur toute la bienveillance qu’elle leur portait. L’enseignante, outrée à outrance, se trouvait au fond de la salle. Elle alla à la rencontre de cette perturbatrice qu’elle aurait bien renvoyée si elle le pouvait. Mais cette responsabilité revenait au directeur de l’établissement qui semblait ne se soucier d’absolument rien. Maryline s’avança vers le bureau et passa discrètement son poignet dans le sac de son ennemie pour lui subtiliser son jeu de clefs. Elle s’en alla alors aussi vite que possible.

Dehors stationnait l’automobile de madame Bonpoint; une Pontiac Firebird rouge de 1968. Maryline sauta dedans et démarra lorsque sa propriétaire comprit que, propriétaire de la décapotable, elle ne l’était plus. Les pneus crissèrent. Maryline roulait à fond la caisse. Les yeux humides – facteur du vent et de sa liberté –, elle honorait le bitume du village. Ses longs cheveux noirs pogotaient en transe sur le dancefloor qu’était son visage. Rien ne pouvait l’arrêter à part, peut-être, cette marche en ciment où, l’heure passait, elle était morte.