Journal de Diatomée
Art · Éthique · Logiciel
À propos · Photos illustrées de vers
Inktober 2020 · Musiko · ·

Souffle musical 2020

Publié le 30/03/2020 dans Art.

Pour ce Souffle Musical, j’ai voulu me mettre à l’écriture. Cette année, il est passé de 30 créations à 15. J’ai proposé les musiques impaires et SylverT a proposé les autres. Afin de ne pas alourdir inutilement la publication, quelques créations sans intérêt ne figurent pas ici. J’ai parfois fait des images qui sont pour moi des tests, des essais de techniques et de logiciels.

1. Forrest Fang – The Luminous Crowd

Sandale à gauche, sandale à droite. La foule s’anime avec foi, s’adonne aux danses ancestrales, vogue vers l’astral. Valse par-ci, valse par là. Des rues boisées, les lampions foliiformes s’illuminent. Les dragons de toiles, les cracheurs d’étoiles, les cymbales, le carnaval, les cent dalles, tout s’emballe.

Efflorescence au bord de l’eau, la rivière silencieuse est féconde. Le calme avant la fête.

2. William Basinski – Melancholia II

Il y avait la mer, il y avait les rires, deux enfants sur la plage, le château de sable. Il y avait un chien, un petit taquin. Axel voulait nager, rejoindre la bouée. Il y avait un coquillage, livreur de présage. Pourtant, les vagues restaient calmes. Le ciel vivait ses derniers instants de bleu. Une main sur l’objectif, l’autre en l’air. Mon frère. Mon frère. Mon seul espoir était parti. Le chien était revenu, harassé. Les mouettes pleuraient. Je criai. Mon frère.

3. Baffo Banfi – Quelle Dolce Estate Sul Pianeta Venere

Le soleil filtre à travers la grande bibliothèque. J’admire le vacillement de la poussière dans les cordes de photons. Je sens la chaleur de l’étoile sur ma joue ; douceur fragile. Je lève le bras et, du bout des phalanges, caresse les raies. Des ions s’en extraient et le son naissant, d’une beauté infinie, se fraie un chemin par mon nombril pour atteindre mon île. Je me lève, amène mes cheveux sur mes seins, recueille quelques mots de la veille ; « onde », « éther », « azur ». Je passe le pœcile, effleurant de mes pieds nus la laine soyeuse. La musique de lumière ondule à travers moi, docile, éthérée, teintée d’azur. Cela m’éveille un peu plus à la beauté des choses. Je m’en émeus. Les longues fenêtres en arcs brisés, dotées de fins croisillons d’or, offrent l’éternelle vue sur les nuées scintillantes. J’ouvre l’une d’elles, inspire profondément l’air pur et frais, succombe aux senteurs du chèvrefeuille en fleur. Ainsi dans la volupté, débute ma journée.

Un sphinx gazé quitte la corolle, se fraie un chemin parmi les tiges volubiles, se pose sur mon poignet. Lui aussi est parfumé. Je le regarde. Il me regarde. Il s’évapore l’instant suivant dans l’astrale, m’invitant à la danse, une danse sur les nuages, une danse inertielle avec pour seuls appuis les molécules, les phéromones, les perles d’eau tiède dans lesquelles je m’éclipse gracile, jusqu’aux chevilles.

Peinture d'une bibliothéque boisée dans les nuages, à l'aube.
Ces doux étés

4. Elizabeth Cotten – Freight train

Joli train, joli train,
Tu roules vite,
Tes marchandises voyagent où les rails passent ;
Je n’ai pas un centime, vois à mes pieds, mes godasses,
Pourtant, jour après jour tu me nourris,
Tu m’enivres et me fais vivre.

Joli train, joli train,
Tu roules vite,
Ma vieille carcasse file à toute allure,
Un peu de raisin et des chants en murmures,
D’est en ouest du charbon en fumée,
Mais à ma mort, je voyagerai encore.

5. Musk Ox – Part 5 – Serenade the Constellations

L’aube. Naissance d’un jour nouveau. Naissance fragile au bord de l’eau. Le petit oiseau se blottit dans les plumes de sa mère, tandis que le roseau baigne dans la brume. Un coassement ? Une grenouille ; les têtards patrouillent. Le caneton se mouille. Les pétales du prunier flottent aussi bien que lui. Pas loin, un bourdon butine déjà les boutons d’or. L’eau défile.

Aquarelle de deux cygnes sur l'eau, sous la lune, la nuit.
Amours

6. Mark Hollis – The Colour Of Spring

♰ Une dernière main dans tes cheveux. Un dernier baiser sur ton front. Une partie de nous envolée. ♰

7. Charles Valentin Alkan, par Yeol Eum Son – Douze études dans tous les tons mineurs op. 39

Le bal perdure. Je tente de m’éloigner ; il se rapproche. J’essaye encore, mais il revient. La foule m’oppresse. Je me presse. Des danses sans cesse, un calvaire sans verre, la folie sans ivresse. Eux boivent, pourtant. Vers là-bas. Non. Une grosse femme m’attrape le bras. Elle rigole. Elle veut me voir suffoquer dans ses parures, me faire tomber comme un fruit mûr, piétiner mon cadavre de ces souliers débordants de bourrelets sous collants. Elle, comme tous les siens, qu’ils partent. Partez ! Je résiste, tire mon corps vers l’arrière. Toutes mes forces y passent. Je trépasse. Les notes au piano se font sons de clavecins. Où suis-je ? Un candélabre s’illumine dans un flot de brume, le noir tout ailleurs. Je m’en approche, le saisis à son axe. Il m’offre la vision d’un grand escalier aux marches blanches, sans fin. J’observe, porte attention aux motifs du chandelier. Il n’en a pas. Son tronc, un tibia ; ses branches, des phalanges ; son style, macabre. Je le lâche. Les rires reviennent. Je martèle l’escalier. La mélodie fugue. Des pas de plus en plus lourds, de plus en plus graves, de plus en plus maladroits. Je chancelle sur une noire. Elles sont toutes noires. Tout est noir. J’abandonne et enfin, la musique s’éteint.

8. Anouar Brahem – The Astounding Eyes Of Rita

Un envoûtement particulier. Il m’a suffi de plonger le regard dans le sien. Ses yeux ne sont pas de pupilles, d’iris ou de reflets. Ils sont un voyage, une introspection, une cité nabatéenne mentale, Pétra. Je peux m’y promener, m’y réfugier et tantôt me laisser charmer. Je fredonne sur un air joué au sitar, sans joueur, sans sitar et dont j’ai oublié les racines. Je sais que cette sérénité a un prix, tout en a un. Pour cette fois, je laisse aller. In Shaa Allah. Je regarde le sable bleu dont certains grains brillent face à la lune. Un scorpion s’approche tandis que le sol, doux et chaud, m’appelle.

9. Opa Tsupa – Les deux guitares

À peine la porte ouverte, Amélie hume l’air aux parfums délicats de muguet, de rose et de chèvrefeuille. La vitrine du fleuriste, au rez-de chaussé de l’immeuble où elle vit, se montre toujours si accueillante au printemps ; un petit bout de nature en plein Paris. Les carreaux cadrés de croisillons vert sont vêtus de grimpantes. Le rebord se voit couvert de bulbeuses aux couleurs éclatantes. Tulipes, dahlias, orchidées, anémones, amaryllis attirent tous les butineurs des environs. Les cloches de Montmartre sonnent dix heures lorsqu’Amélie s’installe sur le banc de l’autre côté de la rue. Elle sort de son sac un verre, le jus d’oranges qu’elle vient de presser et s’en sert un peu. Elle porte ensuite le liquide à ses lèvres citadines, aussi rouges que sa jolie robe, puis savoure l’instant. Tout en haut sur les tuiles argentées d’une lucarne, un merle chante pour elle. Alors l’inspiration lui vient. Amélie prend son grand carnet, ses pigments, sa palette et ses pinceaux. Elle dilue et le papier commence à boire ses caresses.

10. PinioL – Mimolle

Rien à présenter pour cette musique.

11. Jocelyn Pook – Hell, Fire & Damnation

Le rayonnement des étoiles convergeait. J’en recevais toute la lumière par un vitrail. La vierge Marie se grava alors à jamais sur mes rétines. L’univers, lui, prit possession de mon corps. Je brandis ma croix et il m’ouvrit la voix. Nous hurlâmes à nous en faire taire les tympans. Je voyais nos mâchoires se démettre, le rouge filer sur nos mentons, sur nos gorges et entre nos seins. Pourtant, j’étais aveugle. Vois ces rubis Dieu, ils sont pour toi. Tout est pour toi. Ce temple, cet autel, nos offrandes, nos misérables vies. Vois comme Zapoche tend vers toi à la cime venteuse de notre falaise. Vois les vagues et l’écume, les navires pourfendus, les os brisés sous nos pieds et le sang sur la craie.

12. L’escargot – La vecchia Singer

Une goutte tombe. La forêt herbeuse révèle ses senteurs. L’escargot sort de sa coquille, glisse sur la boue. L’ambiance orageuse lui ouvre la faim et, tout naturellement, il se dirige vers le potager. Il fait la course avec ses amis. Une taupe remonte juste sous lui et le divertit. Un éclair frappe au moment où un merle le sert dans son bec. Le tonnerre qui s’ensuit étonne l’oiseau plumé et, après quelques pirouettes dans les airs, le gastéropode rebondit. Il sort la tête, déploie ses yeux, salive. Une jeune pousse de salade bien tendre lui souhaite un bon appétit.

13. Nara Leão – O Barquinho

Peinture de vagues noires illuminées par les derniers instants de soleil.
Ondulations solaires

14. Bacchantes – Sécheresse

Paysage froid avec soleil bleu et arbres morts.
Désolation bleue

15. Franz Schubert – Ave Maria (Ellen’s Third Song, D. 839, Op. 52, No. 6) chantée par Barbara Bonney

Je me circonscris dans mes contrées intérieures.

Démiurge d’un jardin si grand. Dieu, que je puisse m’y perdre ! Du lichen à mes pieds nus, de l’herbe pour les caresser et des eaux pour les rafraîchir. Ici, je suis tel un arbre, un pont entre tes cieux dévoilés et la terre, alors que là-bas, une maison m’appelle. Ses branches sont par endroits tressées, mais elle vit toujours ; son auguste floraison en est l’indice. Peut-être pourrais-je être en symbiose avec elle. Peut-être que l’amour m’y attend. Peut-être pourrais-je y enfanter. Qu’il serait agréable de valser au gré des vents tous ensemble et de prendre le rythme des oiseaux chantants. Qu’il serait agréable d’être heureux sans faire germer les envieux et de passer tout cet espace à travers le temps. Quand mon corps n’en pourra plus, qu’il reposera sur l’humus, je m’élancerai à nouveau vers toi et tu pourras m’offrir la vie ici un millier de fois.


L’inspiration m’est vraiment très utile pour l’écriture. Une image en nécessite un peu moins, ou une différente. Les textes qui me plaisent sont les 3, 7, 8, 11 et 15. Le numéro complémentaire est le 1. J’aurais aimé faire des textes un peu plus longs, mais c’est déjà pas mal.