Journal de Diatomée
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Ma nouvelle Nos nuits

Publié le 28/10/2016 dans Art.

Cette nouvelle a été écrite fin 2015 pour un petit concours d’écriture sur le thème de l’espoir. Il s’agissait d’un beau défi pour moi qui n’écris vraiment pas très vite, puisque la règle était de rédiger ce texte en deux jours.

Nos nuits

— Luar Ee.

— Mais, qu’est-ce que c’est ?

— Une lueur dans la nuit. Une étoile quoi.

Je n’avais jamais entendu ce nom. Il était vrai que je ne disposais pas du savoir d’Aurèle en ce qui concernait l’astronomie. Je connaissais tout de même les constellations principales des deux hémisphères et les planètes du système solaire. J’avais sous les yeux l’Éridan tout entier et le Grand Chien. Orion continuait certainement sa glisse sur l’horizon. Derrière les pointes de nos tarps1 se cachaient la Croix du Sud ainsi que le Poisson austral.

— Il me semble qu’elle peut abriter la vie.

— Ah ?

— Oui.

— Dis-m’en plus.

Nous étions allongés sur une étoile parmi tant d’autres. La possible existence d’une vie dans ce vaste univers me paraissait fort probable. Depuis quelque temps, j’émettais en moi-même la théorie que mon corps, tout comme celui de toute espèce, était univers. Chaque être vivant se formerait d’une quantité astronomique d’autres ; tous façonnés depuis plus de treize milliards d’années, lors du Big Bang originel. Nous nous composerions d’hydrogène, d’étoiles et d’océans et en même temps, dans le grand tout cosmique, nous ne serions toujours rien. Nous ne connaîtrions ni l’infiniment grand, ni l’infiniment petit. Chaque univers en contiendrait d’autres. J’aimais penser à cela, sans chercher à vérifier ou à démontrer quoi que ce soit. Tout comme je souhaitais en apprendre davantage sur Luar Ee, dans la plus grande simplicité, par curiosité et pour ouvrir la voie d’un autre possible. Aurèle redressa le torse, les bras tendus en arrière.

— Suis-moi. Je vais te montrer où elle se trouve.

Il se leva, laissant l’empreinte de son poids sur les herbes de la colline. J’en fis de même, puis nous avançâmes vers le précipice, afin de bénéficier d’une vue vers l’horizon lointain. Le vent soufflait bien plus en bordure que là où nous étions installés. De belles bourrasques chaudes d’un automne indécis sur sa direction, été ou hiver, percutaient nos visages. À quelques pas du ravin, nous nous élevâmes sur un roc dans l’objectif d’obtenir la meilleure visibilité. Aurèle consulta la voûte étincelante et tendit l’index vers un point du contour de la Terre.

— Distingues-tu la Licorne, Monoceros ? Elle avance sur les pas d’Orion.

Il était dangereux et formellement interdit de s’aventurer trop près du gouffre. Il était tout simplement défendu de mourir, bien que nos vies n’appartenaient qu’à nous-même et qu’elles n’intéressaient personne. Je me penchai légèrement en avant pour donner un rapide coup d’œil vers la fosse en contrebas, puis je dirigeai mon regard sur l’indication d’Aurèle.

— Hmmm, oui, à peine.

— Eh bien, Luar Ee se trouve pratiquement au milieu de son corps, dans l’alignement de Beta Monocerotis.

— Ah bon.

— Ne la vois-tu pas ?

— Pas évident. T’as vu cette pollution lumineuse des villes !

— Eh bien, moi, malgré cela, je ne vois qu’elle.

Son astre le fascinait. Ses yeux brillaient. Sa face radieuse ne laissait aucun doute sur le fait qu’il contemplait cette si distante planète et non les réverbérations des agglomérations. Selon lui, elle illuminerait même davantage que Vénus et son emplacement permettrait de l’apprécier n’importe où depuis la Terre, sauf aux abords des pôles. Je voulais croire en l’existence de cet astre aussi visible que celui guidant le voyageur dans les nuits les plus sombres.

— Peut-être sommes-nous observés. Peut-être que si je tends le bras, ils verront ma main dépasser de la courbure terrestre. Et peut-être qu’ils viendront. Qu’ils viendront nous prendre à cette Terre avilie par l’Homme. Imagine. Pense à un monde de paix, d’amour, de partage et de tolérance. Un monde où chacun ferait tout pour les autres serait un monde où les autres feraient tout pour chacun. Pense à un monde qui n’exige rien de nous et que, pour cette raison, nous lui donnons tout.

Je pensais à cela tous les jours. Au fond de moi, je pris conscience que cette étoile matérialisait l’espoir, une lueur dans l’obscurité. Aurèle plaça sa main bien au-dessus de sa tête, la pomme tournée vers l’utopie. Cela ne mangeait pas de pain.

Cette planète sur laquelle nous vivions n’avait jamais était la nôtre. Bien que nous soyons humains, nos comportements et aspirations n’avaient jamais été ceux et celles de nos semblables. Je pourrais essayer d’invoquer tout un tas de raison, mais qui s’en soucierait ? Je pensais fermement que l’argent et toutes les possessions matérielles ne contribuaient à aucun bonheur et que s’il suffisait de faire signe à l’au-delà pour accéder au meilleur des mondes, alors il fallait tenter le coup. Je ne croyais pas en la fatalité. Aussi, j’imitai mon ami pour nous donner plus de chances. Cela me laissait l’impression que nous étions les plus grosses peluches d’une machine à pince de ces stupides fêtes foraines, désireuses d’appartenir à mieux qu’à une cage en verre. Nous demeurâmes ainsi jusqu’à l’aube, alternant de temps en temps nos bras, mais la Licorne trottait déjà vers l’ouest, sans même tourner la tête vers nous.


En attendant notre libération, nous prîmes plusieurs sentiers à travers la nature la plus sauvage, ou du moins, ce qu’il en restait. Nous tombâmes sur de nombreuses interdictions, clôtures et parcelles privées. Où que nous allions, nous n’étions jamais les bienvenus. Mais chaque nuit, Luar Ee nous invitait à rêver d’elle, à recycler notre espoir d’un monde meilleur. Désormais, je la voyais.